mardi 17 mars 2009

UN

J'ai jamais pu dire à mon père ce qui m'avait poussé à m'engager dans la légion, pour un jeune ingénieur diplômé, c'était peu courant. Il aurait voulu que je sois ingénieur, et que ingénieux, je devienne cadre supérieur, ainsi j'aurais rendu ma mère fière de moi en brassant l'argent de l'ennui, puis en lui payant son appart de standinge dans St-Germain. Mais voilà, j'ai fait la légion, à l'âge de 22ans, j'ai signé pour 5ans. J'avais envie de voir le monde, voir le fond, la misère, voir l'horreur. En tant qu'ingénieur, je ne saurais que trop bien vous exprimer à quel point je connais le mépris que l'on réserve aux légionnaires, et quand il ne s'agit pas de mépris, la condescendance extrême qui le remplace. Le légionnaire est un criminel, un sans papier, un désespéré, un bagnard sous contrat.
Qu'aurais je fait de ma jeunesse? J'aurais joué les jeunes yuppies dans une entreprise quelconque, jusqu'à mes 35ans, après quoi je me serais lassé, je me serais assis sur mon train de vie banal, et je serais mort. Comme tous mes anciens camarades.
C'est ainsi que le dernier mercredi de Juin 2013, je me suis levé sans sentiment, j'ai mis mon diplôme dans le coffre fort de mes parents, je me suis présenté au bureau de recrutement de Fontenay-sous-Bois, où j'ai signé sous le nom de Constant de Lattre. Deux semaines plus tard je commençais ce qu'ils appelaient la formation. J'y trouvai beaucoup de point commun avec mon bizutage d'école, on nous a écrasés, brimés, pour mieux pouvoir nous inculquer l'esprit de la légion. Je n'ai jamais parlé d'où je venais, je n'ai jamais essayé de savoir d'où venais mes camarades, il en ressortait une cohésion particulière, nous étions soudés dans notre crasse, un amour forgé dans la douleur. Quand le rythme s'est allégé, je me suis remis à lire, j'ai lu les bios de tout ce que l'histoire de France avait pu engendrer comme génies militaires. J'ai lu pour mes camarades.
J'ai connu mon premier baptême du feu après un an, théoriquement j'étais apte à tuer, je pouvais trancher une carotide, ou briser une rotule d'un coup de godillo. En pratique, j'étais incapable de savoir ce que je serais face à un autre homme. J'avais confié à mon plus proche frère que je viserai les jambes, il me raconta comment les infirmes étaient massacrés par leurs propres familles, inaptes à travailler, inapte à se battre, apte à disparaître. Je le crus. Lorsque le premier éclat de balle tomba à proximité de moi, j'eus uniquement la présence d'esprit de me jeter au sol. Nous étions ici en interposition, le chef d'unité cria ce que je compris comme le "stand up and fight", je ne me suis pas levé, j'ai utilisé ma lunette déportée, et j'ai tiré, par trois fois. Il y a eu des morts parmi les assaillants, j'en ai conclu que je venais de tuer, pour sauver la vie d'un légionnaire peut-être, qui n'aurait jamais dû mettre les pieds ici peut-être.
A la fin de ces Cinq ans, j'avais deux identités légales, j'étais Constant de Lattre, militaire de réserve, et *** honnête gadzart parti faire de l'humanitaire comme l'ont dit mes parents les premiers mois. A 27 ans je me retrouvais avec 5ans de solde complète à laquelle je n'avais pas touché. Je pus m'installer dans un modeste appartement près de la place de Clichy, déjà trop grand pour moi. Peu de temps après alors que je reprenais une vie sans intérêt dans la population active, un frère me rappela.
Je vous ai déjà dit qu'on avait une fausse image de la légion, et des légionnaires. Parmi mes frères, l'un d'eux s'était retrouvé dans une situation judiciaire délicate qui après la faillite de sa société l'avait mis en liquidation. Pour sauver les meubles, il s'était engagé dans la légion, obtenant une nouvelle identité pour le sauver. M avait été Biélorusse, ses parents avait réussi à quitter l'URSS avant sa naissance, et étaient retourner en Biélorussie après l'explosion. Là bas, son père avait prospéré grâce à une usine de meubles, et un jolie tas de bois qu'il avait racheté pour rien à l'état. C'était un de ses financiers en permanence assis sur un énorme patrimoine forestier. Il tira d'ailleurs la majorité de sa fortune de ses spéculations sur le cours du bois, plus que sur son usine qui représentait le côté éthique de ce capitaliste convaincu. M aurait sans doute pu éviter la légion, comme la prison, mais son père ayant connu les geôles de la police politique, le somma de faire sans son soutien. En bon fils de Paternaliste, M prenait petit à petit le pouvoir dans le petit complexe de son père, réorienté dans la location de bureau dans diverses grandes villes françaises et Londres. Une succession rendue subtile par la nouvelle identité de M.
M était de taille moyenne, l'air quelques fois benêt, ce qui s'accordait avec son air à bouffer des tronc d'arbre, cette apparence ignorante lui avait valu pendant nos classes la bienveillance de nos formateurs qui voyaient en lui le parfait soldats, répétant "réfléchir, c'est commencer à désobéir". S'ils avaient su pourquoi il était là, c'est quand il me raconta ses déboires avec la justice que je compris à quel point ce camarade était roublard, frôlant la légalité dans ses affaires. Il devait cependant son engagement à ce qu'on nommerait un coup du sort. A peine libéré de son contrat avec l'armée, il recommença à travailler avec Papa, il m'appela peu de temps après. Il m'offrit un poste équivalent à celui d'un fonctionnaire, où mon seul travail était de transmettre des ordres. Les sociétés immobilières comme la sienne ne demandaient pas de grands cerveaux, ni même la moindre innovation. Mon job, consistait à assister un rentier, travail sans vague s'il en est. Heureusement M avait des projets, moi aussi.

dimanche 15 mars 2009

"Hum! T'es bonne, mais t'es conne!"

Je n'ai jamais écrit sur elle, sans doute parce qu'il n'y avait rien à dire.
L'autre jour pourtant, j'ai raconté à un ami l'intégralité succincte de cette histoire. Notre conversation de la nuit tournait essentiellement autour de ces détails qui font le romantisme de la séduction. Tout d'abord comment je l'ai connue. Dans mes années lycée se sont révélées mes tendances androgynes et mon goût pour le dandysme, je crois qu'il n'y a pas de meilleur conseil à donner à un lycéen désireux de culbuter de la radasse en masse, que de commencer par les mépriser. Quoi qu'il en soit, j'avais une petite amoureuse. Une jeune fille mignonne et certainement brillante, mais que la timidité paralysait. A défaut de discuter avec elle, j'ai discuté avec l'amie qui l'accompagnait le plus souvent. Avec le temps je voyais de moins en moins L et de plus en plus sa copine L. On est devenu amis, une amitié saine je crois. Enfin, il y eut un moment, où elle ne fut plus aussi claire pour elle, je le perçus et ça troubla l'amitié que j'avais pour elle, c'est ici qu'on commence. Un soir j'ai pris sa main, elle me l'a refusé, puis elle pris la mienne, il n'y eut pas plus de contact entre nous durant la longue promenade de cette nuit, mais c'était touchant, et elle l'avait senti. Je ne voulais pas rompre le charme de cette soirée, j'ai donc laissé couler. Deux jours plus tard elle me notifia avec reproche le non sens de cette main donnée si elle ne devait pas avoir de suite. J'ai donc fait la suite. Elle commença par se refuser, cela, à mon sens, était un non-sens, elle céda. Nous ne flirtions plus, quelle tristesse ce fut pour moi.
Quel drame de ne pas être Constant, je ne l'aurais jamais trompée, quel tristesse de ne pas être Captain, je ne lui aurais pas avoué, heureusement je n'étais pas Roger, je l'aurais salie, elle qui m'offrit tout. Par chance je n'étais pas seul, la rupture en fut moins douloureuse, à peine embarrassante en réalité. J'aime croire qu'elle m'a jeté pour moi, mais je n'y arrive jamais bien longtemps, à chaque fois je retombe sur une raison de maître, maître soixante dirait-on. Voyez vous, il est douloureux de rencontrer la niaiserie là où l'on avait gagné la certitude de son absence. On m'accusera de tuer le sentimental, mais il existe un seuil de niaiserie en dessous duquel je ne veux pas aller, pour personne au monde, cela va de paire avec une certaine tenue personnelle. Une loque ou une conne, je choisis, de la laisser à d'autres. Mais il n'en fut pas toujours ainsi, je le jure, elle ne fut pas toujours niaise. Je ne l'aimais pas, elle est partie, je ne l'ai pas retenue. Je le croyais, maintenant je le sais, il n'y a rien de mieux à faire pour rétablir l'équilibre que, loin de retenir l'autre, de le conforter dans son choix. Ajouter un "C'est mieux ainsi" pourrait donner un cachet supplémentaire, et annuler tout besoin de retour. Quoi qu'il en soit, c'est toujours une expérience enrichissante, surtout quand la perte est moindre comparée à l'enseignement qu'on en tire. Comme toujours je m'en suis remis rapidement, tout juste le temps d'écrire les mois suivants de ma vie dans mon bloc. Pourtant j'ai pleuré, non ma perte, mais ce constat qui se précisait, une forme d'incapacité latente, à désirer quoique ce soit au delà de la prise de possession. Quoi qu'il en soit, je suis à l'aise avec ma conscience, mieux, je joue avec elle. Il n'y a rien de plus excitant qu'une âme coupable.
J'ai au passage brisé un mythe urbain.

mercredi 11 mars 2009

Have you ever heard of nymphopomia?

L'autre jour, en plein carnaval, je me retrouvai à l'entrée de Pasteur, tenant compagnie à un camarade taupin, fumeur. Nous regardions passer les déguisés de la journée quand deux radasses vinrent à nous, elles s'excusèrent, puis l'une d'elle s'adressa à mon camarade sur ces mots.
-C'est toi qui t'es fait sucer par A?
Biensur, vous devinez ma réaction, j'explose! Impressionné par l'audace de ces évadées du CAP coiffure, voisin de notre établissement.
-Merde P, si toutes les radasses connaissent ton mojo, mais que me reste-il?
me tournant vers P, Ho grande surprise, il ne riait pas... Il ressemblait plutôt à la poule qui découvre son premier oeuf. Soudain, les connections se firent, P s'était réellement fait lécher les roustons par une illustre inconnue, connaissance qu'il a, à un moindre degré, en commun avec les shampouineuses capilofrigides.
Il est des choses comme ça, remontant à des années, et s'étant déroulées dans un monde tout à fait diffailant qui ressortent.
Il m'arrive moi-même de percevoir les effets de certaines anecdotes m'étant arrivées lors de périodes de doutes internes, j'ai même récemment perçu un écho en provenance de Asnières... question : où est Asnières?
Nos noms nous dépassent, c'est certain, mais là, il y avait un réel exploit.
Les faits remontaient à 2005, P encore tout frais se fait alors réconforter dans la localité de la Garenne Colombe par celle que nous nommons, par décence, A son amie, aussi insignifiant que le récit de mon premier poil vous en conviendrez. Nonobstant, il existe parmi les initiés de "P, la genèse", des ultras qui en plein Neuillasse viennent lui témoigner leur respect.
Ainsi est née ma fascination pour P.

mardi 3 mars 2009

Mon nouvel ami

L…
Par Constant

Ma première rencontre avec L remonte à mon année de première au lycée. Un samedi, après avoir passé une bonne partie de ma soirée chez N, je m’étais rendu, avec un camarade, à une sauterie se déroulant sur la ***. Descendant à un arrêt de bus dont nous ne connaissions que le nom, nous parvînmes à retrouver notre correspondante sur place, une jeune fille charmante, et surtout charmée par mon compagnon de vadrouille.

Alors que nous débarquions sur les restes encore fumant d’une orgie lycéenne, ma fibre sociale se révéla. Trois jeunes filles qui avaient l’air de me connaître vinrent se présenter. A, une petite fraicheur dans un corps de polio, B, une fille qui ne m’aurait pas fait lever les yeux si je l’avais croisée dans la rue, et L, ravissante et légère…
Soucieux de la réciprocité à établir entre moi et ces trois inconnues, je décidai de faire leur connaissance. Tout ce qu’elles savaient de moi se résumait au lieu de mes études et à quelques bruits courant dans les couloirs. L me fit le récit de sa soirée, et l’inventaire de ses découvertes alcoolisées. Cette description me fit l’effet d’un repoussant, elle était décidément bien trop légère. Je fis alors à voix haute le seul constat valable, c’était une Bibbbiiiiaaatchh! Je n’avais à cette époque que 15ans, maman inquiète, vint me chercher en voiture. J’offris alors à mon camarade de le ramener, voyant qu’L serait contrainte de rentrer à pied chez elle, ce qui représentait dans son état, une marche incertaine d’une petite heure au milieu de la nuit, nous l’emmenâmes avec nous. Dans la voiture, elle était incapable de se contenir, riait niaisement à chaque mot échangé avec maman. La légèreté n’était pas de ces traits qui me rebutent durablement, mais tout de même, un minimum de tenue devant un parent m’aurait paru appréciable. Maman a la fibre instigatrice, mais quand elle soupçonne quelqu’un d’être diminué, elle sait se montrer compréhensible, quitte à m’en faire la remarque après.
Après avoir raccompagné L jusqu’à sa porte nous rentrâmes. C’était une soirée agréable, pour un moindre coût temporel, j’avais fait la découverte de cette clique que l’on nomma les pubères !

Je n’entretenais aucunement mes relations avec ces nouvelles connaissances, elles n’étaient généralement que des petites pouffes sans intérêts, le genre de filles à s’offusquer si on omettait de leur faire la bise un matin. Il y avait cependant L, pendant deux semaines, à chaque fois que je la croisais elle s’écriait qu’elle était ma biatch, jusqu’à ce que qu’un jour elle me traite de connard. Quelqu’un lui avait donné la signification de « biatch ». Elle me le pardonna bien vite, je mis alors la légèreté dont elle m’avait tant fait la démonstration sur le coup de son ignorance linguistique.
Avec son écharpe burberry et ses airs de filles à papa, elle correspondait exactement au schéma social des lycéennes de Richelieu. Aie du style, de l’argent, et fréquente ton monde. J’avais néanmoins pour L une profonde affection, c’est ce que j’admis quand je me surpris à la chercher des yeux dans les couloirs. Avec le temps quelques connaissances communes prirent la liberté de me parler d’L, de choses que je ne demandais pas à entendre, que je n’aurais sans doute voulu entendre que de la bouche d’L elle-même. Quoiqu’il en soit ces courts récits attisèrent ma curiosité, L avait beaucoup plus de profondeur que son entourage c’était certain. Pendant mes heures creuses je la croisais fréquemment, alors je discutais avec elle. Un jour alors que je jouais la BO de Barry Lyndon sur le piano dans le hall du lycée, elle passa, s’arrêta et m’écouta. Nous discutâmes du film, elle me parla de son avenir, de cette quête sans fin, cette grande aventure. Elle l’ignorait, mais nous étions trois à nourrir la même ambition, à cet instant je me sentais plus proche d’elle que de nombre de mes amis. C’était quand même autre chose que les légumes que je digérais à longueur de journée. J’ai depuis établi comme réel test, la connaissance même superficielle de l’œuvre de Kubrick.

A mesure que l’année avançait, je commençai à m’interroger sur les occupations d’L. Je la croisais bien trop souvent flânant en dehors des heures de pauses habituelles. Elle me disait qu’elle n’avait pas cours, mais un jour alors que j’errais dans un couloir je la vis sortir, elle ne nia pas, elle s’était faite exclure. Pourquoi cachait-elle ça ? Nous nous perdîmes un peu, elle devenait distante.
Plus tard, j’appris qu’elle sortait avec un crétin, je ne me permis aucun commentaire, ni même la moindre allusion, c’eut été inconvenant. Avoir un copain à Richelieu était toute une aventure. Mais pouvait il en être autrement quand la quasi totalité de la population male, socialement ouverte du lycée, rivalisait de légèreté dans la conquête de minettes sans souffle. Dans nos discussions, nous avions déjà évoqué la solitude, et la vacuité de toute relation avec ces gens, pourtant elle était avec l’un d’eux, enfin elle assumait d’être avec l’un d’eux. Ce fut elle qui en parla, avec une froideur surprenante, même pour moi qui suis d’un cynisme reconnu, elle détruisit toute la sentimentalité que ces couples risibles prétendaient entretenir. J’étais flatté dans ma gène qu’elle me confie ainsi son mépris pour ce crétin, elle savait que je n’étais pas un vecteur de bruits, je ne lui étais donc d’aucun secours pour la débarrasser de cette sangsue. Cette confession sonna presque comme une excuse, je n’avais jamais parlé de ce baltringue, mais elle imaginait aisément mon opinion sur lui puisque membre de la caste des « saturdaynightfraicheurteam », il ne pouvait être qu’un comique comme un autre. Je n’avais pas encore cerné ce qu’elle valait, mais j’avais une certitude, et elle ne l’ignorait pas, elle valait mieux.
Les vacances approchaient, et avec les beaux jours L se faisait de plus en plus absente, je la vis à quelques soirées chez moi, silencieuses, l’air préoccupé, à mille lieux de ce que j’avais pu voir d’elle au début de notre rencontre.
Elle partit, pendant quelques temps je n’entendis plus parler d’elle, non sans tristesse. Chaque fois que je rouvrais un bloc, je la revoyais.
Un jour elle revint, elle ne me vit pas, ou presque. Longtemps après je la revis avec plaisir, nous discutâmes, je guettais ses passages. Et plus rien. Je garde le sentiment de l’avoir manquée… Je m’en suis remis, comme toujours.

L’air préoccupé, cette austérité qui donne du contenu, il y avait dans cette mélancolie une sincérité troublante, bien loin des simagrées d’une pouffe que j’avais connu sur le quai d’une gare. C’est d’ailleurs en regardant L si inquiète que je pris conscience que plus encore qu’une femme souriante, une femme triste était pour moi une source de bien des passions. Comme l’expression la plus pure qu’il soit du sentiment humain.